William Peskett
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de Place de la Sorbonne 10, mai 2020

William PESKETT, Les Sonnets de Thaïlande, édition bilingue, traduit de l’anglais par Michel Gauthier, avec une préface de Bertrand Degott, Pattaya (Thaïlande), Cycad Books, 73 p.     
 
William Peskett, né en 1952, est un poète d’Irlande du Nord, qui a fait ses études à l’université de Cambridge. Il a publié deux livres de poèmes, The Nightowl’s Dissection (Secker & Warburg, 1975) et Survivors (Secker & Warburg, 1980). « Il a aussi écrit des romans, des nouvelles, une comédie radiophonique et des essais sur la vie d’expatrié. » (Notice, p. 72-73). Il vit en effet à Pattaya, en Thaïlande. Son traducteur, Michel Gauthier, « ingénieur civil des constructions, diplômé de l’Université Libre de Bruxelles » (ibid., p. 73), vit lui aussi à Pattaya. On a pu lire des poèmes de Bertrand Degott dans les numéros 2 et 9 de PLS. Poète excellent, il est aussi l’auteur d’une « mise en vers français » des Sonnets de Shakespeare (La Table Ronde, 2007).

Dans sa préface, Degott fait notamment remarquer « la vitalité que conserve, quatre siècles plus tard, le sonnet de Shakespeare (abab cdcd efef gg). Certes – ajoute-t-il – Peskett ne l’emploie que douze fois strictement, mais il y fait presque toujours allusion, au moins sous la forme d’un quatrain croisé, en plus du distique final. Sur ce point, Gauthier est presque plus shakespearien que Will : non seulement il reprend généralement la forme anglaise, mais il y maintient le décasyllabe, qui est le vers français le plus proche du pentamètre ïambique, ce qui l’oblige à contraindre encore le propos. » (p. 5).

Et il conclut que grâce à Peskett et à son traducteur, « la Thaïlande et sa culture nous deviennent […] accessibles et familières » (p. 6). Il est certain que l’agrément procuré par ce livre vient de ce qu’il nous fait découvrir maintes facettes de ce pays d’Asie du Sud-Est, photographies (en regard de la plupart des textes) à l’appui. L’auteur, irlandais, est « [v]enu en Thaïlande » (p. 26) et y est resté, il y a trouvé une compagne, « Liew », à qui il dit sa dette (p. 67), chacun ayant initié l’autre à sa culture propre : « Nos contrastes ont trempé notre union » (« Amours lointaines », « Expat love », p. 15). Il est désormais chez lui à Pattaya, cette ville où il a trouvé un havre : « Toute ma vie, partout, je t’ai cherché, / Mon logis sans âtre, mais mon foyer. » (« Pattaya », p. 65).

Tout se passe comme si le sonnet shakespearien, qu’il a emprunté au grand William, son homonyme : « Je rimaille et William a du génie. » (« Post-scriptum », p. 71) pour l’importer dans cette terre si étrangère, fonctionnait comme une sorte de filtre : perçu, éprouvé à travers la grille des vénérables quatorze vers, le pays d’adoption, dans son étrangeté, est comme digéré, par le poète d’abord, pour ses lecteurs ensuite. Pattaya passe pour être, si l’on en croit internet, la « capitale mondiale du tourisme sexuel », et l’auteur ne l’ignore pas qui consacre un poème aux « bars de “Walking Street” », le quartier chaud (« Baby dolls », p. 24), un autre à la « Fille de bar », qui espère « [t]rouver un “farang” [Occidental], se faire épouser » (p. 30). Mais ni voyeurisme ni, d’une façon générale, exotisme de pacotille. On a des aperçus sur la religion : « Naga » (p. 9), le dieu serpent ; « Punya », l’acte charitable qui vaudra « la félicité » (p. 45) au juste ; « Songkran », la fête du nouvel an bouddhique (13-15 avril, p. 69). On est initié aux mœurs locales : le goût immodéré des « amis orientaux » pour la « Chirurgie esthétique » (p. 21), voire pour celle qui transforme, là plus qu’ailleurs, les hommes en femmes (« Garçon-fille », p. 51), la vogue du « Pick-up », « ce percheron d’Orient » (p. 61), les courses de bœufs (« Courses à Chonburi », p. 36). « Le village », à mon sens le sonnet le plus réussi du livre, évoque le lever du jour à la campagne et le concert des activités qu’il déclenche (p. 43). On ne connaît vraiment un  pays qu’à travers sa cuisine, et l’auteur ne se fait pas faute d’y goûter : « Piment » (p. 26), « Sukishi », chaîne de restaurants avec buffet ad libitum : « Me voilà replet grâce à “Sukishi”, / J’ai trop mangé à volonté ici. » (p. 35) ; « Chez Ba Daeng », « petit restau […] à Ban Amphur » (p. 62). Quelques coups de projecteur aussi sur la géographie du pays : « Ko », île : « L’existence aujourd’hui te rend inquiet ? / Une île déserte t’offre la paix. » (p. 17). « Ubon Ratchathani », ville dotée d’un « bougeoir » (p. 23) gigantesque. Quant à « Bangkok » (p. 18), il y règne trafic infernal et pollution. Un poème évoque un épisode douloureux de l’histoire du pays, « À “Hellfire Pass” », un camp de travail de soldats prisonniers des Japonais (nous apprend le glossaire in fine). La nature et les animaux sont bien présents, mais dans un espace de plus en plus réduit : « Les grands bois sont maintenant espacés / Comme des touffes sur un corps vieilli. / Leurs habitants ne peuvent s’échapper, / Ils sont victimes de nos appétits. » C’en est fini de « l’équilibre naturel » (« Jungle », p. 46). Les éléphants échapperont-ils à « l’extinction » ? (« Éléphant », p. 11). Le singe lui aussi souffre de l’urbanisation galopante : « La jungle était ton toit, ma rue depuis / T’est devenue un absurde logis. » (« Singe », p. 29). Même triste sort pour le tigre, enfermé dans sa cage (« Tigre », p. 38).

Face à ces dégradations multiples d’une civilisation qu’il a apris à connaître et à aimer, le poète se fait volontiers moraliste : « Les vieux cherchent le piment dans la vie, / Et les jeunes dans la gastronomie. » (« Piment », p. 26). La nouvelle génération lui apparaît esclave du téléphone portable (« Cellulaire », p. 57). Enfin, il retrouve le « Pour vivre heureux, vivons cachés » de la sagesse antique, quand la chaleur est accablante : « Les chiens les plus avisés l’ont compris : / Reste à l’ombre et serein, vis sans soucis. » (« Chaleur », p. 48).
Le sonnet en Thaïlande, ce serait, en somme, plus ou moins inversé, le Huron débarqué en France de L’Ingénu de Voltaire.
 
Laurent Fourcaut
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